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Old Orchard Beach

J’aurais peut-être dû avertir Marianne pour mon voyage à Old Orchard Beach avec Goyette. Surtout que j’ai un peu emprunté son char pour toute la période et qu’elle a dû aller travailler en taxi. Par contre, elle peut pas vraiment se plaindre parce que c’est tout de même son choix de passer ses longues journées au travail plutôt que de s’amuser. Elle devrait peut-être commencer à considérer de prendre sa retraite. Elle va bientôt avoir 37 ans, c’est ben pour dire.

On a fait un très beau voyage Goyette et moi. Même si j’ai pas vraiment souvenir qu’on se soit parlé, on a eu presqu’autant de plaisir que de brûlures au troisième degré; l’huile de canola c’est très efficace pour le bronzage estival.

Les Américains sont vraiment très gros, c’est impressionnant. On dirait qu’ils sont pas fiers de leur personne. C’est pas pour rien qu’on se faisait regarder autant Goyette et moi: on respire pas mal la santé et nos corps dégagent un doux parfum érotique. Malgré que c’est peut-être l’empreinte blanche du pénis en carton sur mon ventre qui leur donnait ce petit air joyeux quand ils nous observaient en nous pointant du doigt. Les gens sont pas toujours faciles à décoder.

Il y a pas vraiment de plage nudiste à Old Orchard Beach. En tout cas, celle où on allait en était certainement pas une. D’ailleurs, je me suis toujours demandé comment on décidait qu’une plage devenait nudiste. Me semble que ça doit pas être le genre de chose dont on discute au conseil de ville. À notre deuxième journée de voyage, j’ai donc pris mon courage à deux mains et j’ai déclaré notre plage « nouvelle zone nudiste ». Faut dire que j’ai pas mal plus de courage quand je suis vraiment très chaud. Vers 14h00 du matin, une fois bien installés sur le sable doux avec nos serviettes de motel, je me suis levé fièrement et j’ai retiré, avec assurance, mon beau speedo blanc. Goyette a poussé un gros YEAH! bien senti en regardant pas tout à fait dans ma direction et s’est aussitôt endormi. J’ai ensuite adopté une attitude désinvolte avant de me diriger vers la mer en espérant que les gens, en me voyant, suivraient mon exemple. Je crois que j’avais vu ça dans un film de fesses.

Eh ben non. Je sais pas si c’est le fait que la plage était plutôt familiale ou bien si c’est ma démarche hasardeuse qui les a refroidis (l’équilibre dans le sable c’est pas évident), mais les gens avaient plutôt tendance à me dévisager. Le regard de certains américains bedonnants était même carrément agressif. J’imagine que c’est normal au début quand on essaie de faire tomber les préjugés.

Mais c’est quand je me suis accroché les pieds sur cette mignonne petite fille aux cheveux blonds que ça a vraiment dérapé. C’est peut-être ma position sur son visage qui portait à interprétation mais toujours est-il que sa mère a immédiatement hurlé de terreur pour ensuite demander aux gens autour de sauver son enfant. Je suis resté figé en place la bouche mi-ouverte pendant quelques secondes à regarder dans le vide. Je savais pas trop comment récupérer la situation. Au bout d’un certain moment, j’ai finalement décidé de me lever simplement et de quitter les lieux en courant le plus rapidement possible. J’ai peut-être envoyé un peu de sable dans les yeux de la petite fille en voulant me dégager mais, à ce stade, ça reste un détail sans grande importance.

C’est son père qui s’est immédiatement lancé à ma poursuite en me criant des bêtises en anglais; ce qui était parfaitement inutile parce que c’est pas comme si j’avais pas compris qu’il était offusqué. Surtout qu’il était pas mal menaçant avec son poteau de parasol au-dessus de la tête. Les gens ont toujours tendance à en ajouter une couche de trop pour faire valoir un point.

Je me sentais un peu tout nu de courir comme ça en public. Mais ça m’a tout de même fait penser à la fameuse chanson des Trois D’accord et j’ai pas pu m’empêcher de sourire malgré le dramatique de la situation. J’arrive toujours à trouver du positif dans le malheur, je suis quelqu’un de très optimiste.

Heureusement, le papa courait pas particulièrement vite. Mais il avait tout de même pas l’air de vouloir se fatiguer. Les vacanciers que je croisais me regardaient bizarrement. Ça doit pas sortir souvent des gens qui se tiennent à Old Orchard Beach.

J’ai tout de même eu une idée ingénieuse pour sauver un peu la face; je me suis mis à crier en anglais: GIMME BAK MY BATING SOUTE! GIMME BAK MY BATING SOUTE! en tendant ma main vers le gars qui courait derrière moi. C’est pas grand chose mais au moins ça me donnait une bonne raison d’être tout nu. C’est certain que ça aurait été préférable que ça soit moi qui poursuive le gars, mais je pouvais tout de même pas lui demander de faire un échange; il était probablement pas d’humeur à négocier quelque chose comme ça. Faut être logique!

Après cinq minutes de cette course folle, j’ai décidé d’abandonner. Je n’avais plus de forces de toute façon et je commençais tranquillement à dégriser. La sensation était pas particulièrement agréable. Je me suis donc laissé tomber sur les genoux comme Willem Dafoe dans Platoon et j’ai attendu, les bras en croix, que le papa me donne le coup de parasol qui devait venger sa petite fille. L’image devait être particulièrement forte pour les gens autour de nous parce qu’ils se sont mis à quatre pour me défendre et empêcher le papa de m’assassiner. C’est beau quand même l’humanité. C’est quelque chose qui m’a beaucoup touché.

Une gentille dame m’a même offert un costume de bain pour que je puisse retrouver un peu de ma dignité. Faut dire que je commençais à être pas mal loin de la nouvelle zone nudiste que j’avais baptisé un peu plus tôt. Je pouvais effectivement pas rester tout nu, question de respect. J’aurais tout de même préféré qu’elle m’offre autre chose qu’un maillot une pièce pour femme mais, dans les circonstances, c’était déjà mieux que rien.

En tout cas, c’est un maudit plan de minorité visible que j’ai eu là. C’est plus compliqué que je pensais de changer le zonage sur une plage de Old Orchard Beach. Ça m’aura servi de leçon! Le nudisme, je vais laisser ça aux animaux.

Quand j’suis revenu à ma serviette de motel, Goyette était toujours endormi. Mais il avait bougé un peu puisque mon costume de bain était maintenant sous son gros ventre poilu. Je l’ai violemment tassé avec le pied, ce qui l’a un peu réveillé. Il a poussé un grand YEAH! en me voyant dans un costume de bain féminin et il s’est endormi une fois de plus. J’aime bien la constance de mon vieil ami, c’est quelque chose de très rassurant pour moi.

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