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Au restaurant

Mon père est venu chez nous l’autre jour et il s’est invité à souper. Moi je suis pas très bon pour préparer la nourriture; j’ai une recette de pain à la viande au ketchup pas pire mais sinon je manque un peu d’imagination et de raffinement. J’ai pas grand chose dans mon réfrigérateur, et depuis que j’ai pu accès à mon char, je fais l’épicerie à la station-service en face. Leur stock est assez limité. Ils ont du ragoût de boulettes avec patates rondes en canne que j’aime bien, mais sinon c’est pas mal de la soupe en sachet, des gâteaux Vachon pis des sandwiches Martel qui goûtent comme si tu avais passé un chat mort dans le robot culinaire avec un peu de mayonnaise et que t’avais étendu ça entre 2 tranches de pain sec.

Ça convenait pas à mon père alors j’ai proposé qu’on aille au restaurant, et que je paierais pour lui. Bon, c’est rare que j’invite au restaurant parce que je suis assez proche de mes cennes et que j’aime mieux les garder pour des choses plus essentielles. Mais là j’avais eu une rentrée d’argent le matin-même (j’avais vidé le cabanon des bouteilles vides et je les avais ramenées au depanneur avec le carrosse que j’ai volé a l’épicerie l’été dernier).

On est allé dans un restaurant familial assez haut de gamme (rien en bas de 8 piasses!). Il y avait pas mal de tension à table parce que mon père se doutait bien que j’avais bu avant qu’il arrive à la maison et ça, ça le met pas mal de mauvaise humeur. J’avais bien pris quelques margaritas pour me détendre avant qu’il arrive, mais je lui avais dit que mon manque d’équilibre était dû à une labyrinthite et que mes troubles d’élocution c’était « une ptite tumeur au cerveau qu’ils m’ont trouvée mais qui devrait guérir d’elle-même d’ici une ou deux semaines ». Malgré ça il a pas eu l’air de me croire; il a toujours eu de la misère à me faire confiance.

En tout cas avec cette tension là, j’ai pas pu m’empêcher de commander un pichet de bière pour maintenir mon feeling. Papa a pas beaucoup apprecié, comme en témoignait son oeil qui sautait et le fait qu’il tapait pas mal du pied. Il sacrait beaucoup aussi, entre ses dents, avec des vieux sacres qu’on entend plus beaucoup aujourd’hui.

Il a pas fini son club sandwich et il est parti. Je l’ai fini pour lui parce que j’avais juste commandé une ptite frite sauce à manger, pour me garder de l’argent pour payer pour papa et surtout la bière, qui coûtait beaucoup plus cher au millilitre qu’une King Can.

Quand la facture est arrivée, j’ai réalisé qu’il me manquait un bon 6$ pour couvrir le total, sans compter le tip. Des fois je calcule un peu tout croche quand je suis en boisson.

J’ai laissé ce que j’avais sur la table et je suis parti avec un air nonchalant et decontracté, même si j’ai accroché et fait tomber une chaise haute en sortant. Je me suis pas retourné pour voir si elle était occupée mais j’ai entendu quelques cris.

Rendu à la maison je me suis rendu compte que j’avais laissé mon portefeuille sur la banquette au restaurant.

Je pense me mettre une fausse moustache pour aller chercher « le portefeuille de mon ami qui a de graves problèmes financiers depuis qu’ils lui ont diagnostiqué une tumeur au cerveau » .

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