Profession Michaud

J’suis allé faire mon épicerie hier après-midi. Me restait pas mal juste de la moutarde jaune pis des vieux pickles dans le frigo.

J’avais pas beaucoup mangé au déjeuner alors ma petite bouteille de vin pis mes quelques bières m’ont pas mal sonné. C’est pour ça que j’ai eu beaucoup de difficulté à me stationner à l’épicerie avec leurs espaces de 5 pieds de large. À vouloir faire entrer le plus de chars possible, ils oublient qu’on a pas tous les même aptitudes pour les manoeuvres fines.

J’ai dû sortir du côté du passager parce que mon char était un peu trop collé sur la minivan à ma gauche et j’avais pas la patience d’essayer une autre fois de me placer comme du monde. Surtout que métal sur métal, je commençais à faire pas mal de bruit.

J’ai pris un panier à l’extérieur. Évidemment j’me suis ramassé avec celui qui a une roue toute croche. Ça me prenait pas mal de concentration pour le faire rouler droit. Tellement que j’avais tendance à fixer la roue qui se balançait dans tous les sens plutôt que de regarder en avant. C’est pas facile de surveiller une p’tite roue de carosse pis les spéciaux en même temps.

Mon premier petit accident je l’ai fait en fonçant dans le derrière d’une madame aux cheveux blancs qui était penchée pour attraper un petit pot de confiture dans le rayon bio. Moi ce rayon là je le passe assez vite parce que la nourriture bio je trouve ça beaucooup trop cher pour rien. C’est jamais meilleur que la bouffe ordinaire de toute façon. Tout ça pour dire que la petite madame est apparue quand j’ai tourné le coin. J’avais aucune chance de la voir et de freiner à temps.

Elle est pas super bien tombée après l’impact. Son épaule a fait un drôle de bruit et les petits contenants dans l’étagère se sont mis à lui tomber sur la tête. Ça peut avoir l’air dramatique comme ça, mais en même temps on aurait dit qu’elle était dans un dessin animé de Looney Tunes; le coyote dans Road Runner plus précisément. C’est probablement pour ça que j’me suis mis à rire un petit peu. Mais faut comprendre que j’ai toujours beaucoup aimé regarder les comiques à la tévé.

Le coyote normalement il revient assez vite sur ses pieds. Pas une bosse et pas une égratignure. La petite madame, par contre, avait pas l’air de vouloir se relever tout suite. J’étais pas nécessairement pressé mais je voulais pas trop perdre de temps avec ça non plus alors j’ai jeté un coup d’oeil autour pour voir si quelqu’un me regardait. J’avais l’intention de continuer mes emplettes mais y’avait un gros monsieur qui venait pas mal rapidement dans ma direction. J’ai donc décidé que c’était mieux que je reste à ma place. Je suis pas complètement insouciant.

J’suis allé prêt de la madame et j’ai pris une voix réconfortante pour montrer au monsieur que j’avais rien à voir là-dedans: « Mais qu’est-ce que vous avez fait là madame? Avez-vous des problèmes d’équilibre dans la famille? Voulez-vous que je vous aide à prendre un médicament? »

À ce moment là je regardais surtout le gros monsieur qui l’aidait à se relever. J’espérais qu’il pense qu’elle avait juste eu un malaise. Mais en même temps je savais pas trop s’il m’avait vu avec mon chariot. Ce qui était bien, par contre, c’est que la petite madame était un peu étourdie et incohérente. Ça m’a permis de continuer avec ma tactique: « Ah lala! Je vous ai vu tomber madame. J’étais sur le coin là-bas et je me suis dit non non elle va pas tomber sans raison! C’est pas vrai! Non non non! Et puis vous avez fait tomber tous les petits pots; même de loin c’était pas beau à voir madame. »

Le gros monsieur s’est retourné vers moi avec des yeux fâchés. J’ai donc offert de l’aider: « Je vais ramasser les petits pots moi monsieur. »
-Aie le comique, je t’ai vu avec ton chariot. T’allais tout croche pis tu roulais trop vite.
-Ah? C’est bizarre j’ai pas vu ça comme ça moi. C’est selon l’angle j’imagine.
-Eh ben moi j’ai très bien vu pis j’te conseille de faire attention -il me regarde en plissant les yeux-…Coudonc toi, es-tu saoul?
-Ah nenon. J’ai juste beaucoup de fatigue accumulée.
-T’as l’air saoul mon gars.
-J’suis pas mal certain que non moi monsieur.
-T’as une face d’ivrogne j’te dis. Je connais ça les gens comme toi.
-Ah ben moi monsieur c’est la première fois que je vous vois et j’ai rien bu depuis déjà un bon moment.

Je commençais à paniquer un peu alors j’ai agrippé mon chariot et j’ai décidé de continuer mes commissions. Je pouvais pas faire grand chose pour aider de toute façon et ça commençait à être un peu gênant; la petite madame gémissait très fort et y’avait tout plein de monde autour qui nous observaient. Moi quand je panique, je me mets immédiatement à suer considérablement. Ça devait me donner un drôle d’air.

Je regardais pu vraiment ma petite roue qui allait toute croche. J’avais plutôt tendance à regarder derrière moi des fois que le gros monsieur me suivrait. J’avais pas grand chose à me reprocher mais on aurait dit que j’me sentais quand même coupable.

Avec toutes ces émotions mélangées, j’ai commencé à me sentir un peu mal. J’avais la tête qui tournait pis je voyais plus très bien devant moi. Ça faisait comme un grand voile noir. J’étais sur le point de perdre connaissance alors j’me suis dépêché à faire mon épicerie. J’ai ramassé des conserves pis des boîtes un peu au hasard dans chaque rangée. À ce moment là, j’en avais vraiment rien à cirer de quoi j’avais l’air. J’avais juste ben hâte de sortir de là pour aller à mon char.

Y’avait pas mal de monde pour payer alors j’ai fait semblant de rien pis j’suis passé devant 4 ou 5 personnes à la caisse numéro 6. Ça chialait pas mal au début mais j’pense que quand ils ont vu mon air, ils ont compris que c’était mieux que je fasse ça vite. J’ai donc vidé mon panier en garrochant mes articles sur le petit tapis roulant. La jeune caissière avait l’air un peu inquiète et elle pitonnait tout ça comme si j’avais un fusil dans les mains. J’essayais de me concentrer pour pas être malade mais c’était pas facile; ma tête tournait, je voyais presque pu rien pis les voix autour étaient sourdes et lointaines.

Le premier jet a été plutôt modeste. En fait c’était simplement un petit coulis de vomi qui a pas fait plus que tacher légèrement mon manteau. Comme un petit avertissement pour dire aux spectateurs que le reste allait suivre. À ce moment là j’avais l’impression d’être à l’extérieur de mon corps et de me regarder aller. Les gens autour faisaient des « ouh » et des « ark » un peu méprisants. Le monde a pas beaucoup de coeur je trouve.

La caissière, en panique m’a demandé si je voulais m’asseoir sur une chaise. C’est en voulant répondre que le 2e jet est arrivé. J’ai ouvert la bouche pour dire: « Ah ché ben pas c’que… » et puis c’est tout naturellement que j’ai généreusement renvoyé sur le tapis qui roulait encore. J’me suis ensuite écrasé vers l’avant et le haut de mon corps a suivi le mouvement du tapis roulant. J’avais la joue dans le vomi et j’suis pas mal certain que le petit scan a fait un bip quand ma tête s’est retrouvée devant la lumière rouge. Je sais pas combien de temps j’suis resté comme ça mais je sais que le tapis a continué à tourner pendant toute ma période consciente.

J’me suis réveillé couché sur trois chaises en face de la caisse numéro 6. Un monsieur avec plein d’outils à la ceinture était en train de nettoyer le tapis roulant en sacrant un peu. Y’avait deux jeunes employés qui lavaient le plancher tout près de moi. J’imagine que c’est à cause de l’odeur qu’ils avaient fermé 2 caisses de chaque côté.

J’me suis levé en douce et j’suis sorti pour aller à mon char. Je sentais mes cheveux collés sur mon front, et ma joue, qui avait frotté sur le tapis, était très douloureuse.

J’étais pas dans ma meilleure forme alors j’ai eu autant de difficulté à reculer mon char que j’en avais eu à le stationner. Mais étant donné la position, je crois pas que c’était physiquement possible que je réussisse à le sortir de là sans arracher le bumper arrière de la minivan…

Commentaires

commentaire(s)