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Le Monstre

On est allé à la Ronde hier pour la fête du Canada. Marianne avait ben hâte de faire monter Amélie dans les manèges pour enfants. La petite Ronde comme ils disent.

Moi la Ronde ça me rappelle Expo Québec dans mon jeune temps. La barbe à papa, les queues de castor, les montagnes russes, la fièvre du samedi soir, le mal de cœur du dimanche.

On est arrivé à Montréal pas mal de bonne heure hier matin pour éviter les files interminables. C’était pratiquement la nuit même si, bizarrement, le soleil était déjà très haut dans le ciel. Le réchauffement de la planète j’imagine.

C’était vraiment très chaud et humide comme journée. J’ai donc laissé Marianne et Amélie s’amuser entre filles pour aller me rafraichir un peu avec quelques bières du côté des manèges pour les grands. C’est très important de boire en grande quantité quand il y a une grosse canicule comme ça. C’est assez courant que des gens se retrouvent aux urgences parce qu’ils ont eu un malaise dû à la chaleur excessive. Je me suis donc hydraté pour 144$ et je suis allé faire un tour vers mon manège préféré: LE MONSTRE.

J’en ai profité pour m’hydrater pour un 48$ de plus dans la file vers le grand manège de bois. À mon tour, je me suis installé dans un chariot à côté d’une petit chinois en culottes courtes avec des jambes grosses comme mon petit doigt. Je suis quelqu’un de très sociable mais il avait l’air un peu timide alors j’ai décidé de casser la glace:

-Hi, do you first time are you in the Monstre?
-J’parle français
-Han? Ça parle français en Chine?
-J’suis né au Québec. J’suis québécois comme toi.
-Yeah right!

Je lui ai fait un clin d’œil pour lui faire savoir que j’avais compris qu’il me niaisait et j’ai tranquillement attendu le départ.

Quand les chariots se sont mis à bouger, j’ai commencé à me sentir pas mal fébrile. Je me suis mis à crier des « WOOUHOUU » et des « YEAH » vraiment très fort pour faire comprendre aux gens devant et derrière que ça m’énervait pas pantoute.

Par contre, quand le chariot s’est mis à monter la première dénivellation, j’ai eu un petit doute. Est-ce que le Monstre était bien mon manège préféré? C’était pas plutôt le grand carrousel avec les chevaux? J’ai toujours eu tendance à les mélanger ces deux là… Mon doute s’est vite transformé en certitude quand on a atteint le sommet et que les chariots se sont pratiquement immobilisés en attendant la descente infernale. J’ai eu un flashback insupportable: mon visage plus jeune dans le miroir, un autobus, le Monstre, une fille à mes côtés, des cris d’excitation, un cri de désespoir (moi?), des visages dégoûtés, des infirmiers. Il y a des moments que notre cerveau préfère oublier et c’est certainement ce que le mien avait fait jusqu’à cet instant.

Quand les chariots se sont mis à descendre la première pente, j’ai compris que j’allais mourir. Heureusement que j’étais bien hydraté parce que je me serais évanoui sur le champ. Le hurlement qui est sorti de ma bouche ne ressemblait à rien de ce que je connais. Je ne crois pas que je serais capable de le reproduire aujourd’hui. Je n’arrivais même plus à fermer les yeux tellement j’étais concentré à maintenir fermement en place la barre qui devait nous empêcher d’être expulsés hors du chariot. J’étais complètement pétrifié jusqu’au moment où j’ai réalisé qu’à ma droite, mon inconscient de chinois avait les deux bras en l’air:

LÂCHE PAS LA BARRE CALISSE! AIDE MOI À TENIR LA CALISSE DE BARRE!

Mon petit chinois, un grand sourire aux lèvres, m’a jeté un petit coup d’œil mais a gardé ses bras levés au ciel en criant « YIPEEEE ». J’ai donc attendu une ligne droite pour lâcher la barre et lui prendre son bras gauche. J’ai tiré de toutes mes forces son bras vers le bas et j’ai maintenu sa main sur la barre en-dessous de la mienne:

BAISSE LES BRAS TU VAS TOMBER CRISS D’INNOCENT! LÂCHE PAS LA BARRE CALISSE!

Le petit chinois était très en colère et me lançait des insultes comme si on se connaissait depuis 10 ans. Mais ça me dérangeait pas vraiment, l’important c’était de survivre. On a roulé comme ça pendant une éternité. Mon voisin me criait de le lâcher parce qu’il avait mal à la main. Il frappait sur la mienne avec son petit poing fermé. Mais je ne ressentais aucune douleur. Je regardais la mort en face alors c’était pas un petit chinois qui parle français qui allait faire une différence. Je continuais à hurler en me concentrant sur la barre de métal. Mon cri avait quelque chose de rassurant même s’il n’était pas tout à fait humain.

J’ai peut-être crié quelques secondes de plus que la normale lorsque le petit train s’est immobilisé à la fin du parcours. C’est probablement pour cette raison que les gens autour se sont mis à me regarder et qu’un petit attroupement s’est formé près de notre chariot. C’est ça ou bien c’est le petit chinois qui se débattait pour que je lâche sa main qui les a un peu impressionnés.

Quand j’ai finalement réalisé que c’était bel et bien terminé, j’ai eu la bonne idée de crier un grand YEAAAH! en donnant un petit coup de poing sur l’épaule de mon voisin. C’était une bonne façon de sauver les apparences je trouve.

Par contre, quand je me suis levé, un petit monsieur de la sécurité est venu vers moi:

-Votre pantalon est mouillé monsieur. Vous avez uriné sur le siège?
-Ah non c’est le petit chinois du Québec qui a renversé sa bière sur moi.

Je sais pas si ma réplique l’a convaincu mais j’ai pas pris le temps de vérifier et j’ai descendu les marches en vitesse jusqu’à la sortie. Mes jambes étaient molles et ma gorge était terriblement sèche. J’ai rapidement compris que je commençais à être dangereusement déshydraté. Je n’avais plus que 75$ en poche mais c’était déjà mieux que rien. C’est en me dirigeant vers l’enseigne Molson Dry que j’ai réalisé que le petit chinois me suivait. Il m’a vite rejoint:

-Check c’que tu m’as fait à la main. Ça fait mal en criss!
-Je voulais juste te protéger tsé. T’es ben trop p’tit pour monter dans des manèges de même.
-T’avais la chienne surtout.
-J’avais pas la chienne pantoute, j’étais juste très inquiet pour toi.

J’ai commencé à voir mon petit chinois un peu embrouillé. Il était flou et sa voix était lointaine. Il continuait à parler mais je comprenais plus rien de ce qu’il racontait. Je souriais à tout hasard. À un moment, j’ai senti que j’allais perdre connaissance…je me suis donc accroché…

Quand je me suis réveillé, j’avais encore l’épaule du petit chinois dans ma main. J’étais étendu sur lui et je lui bavais dans le cou. Il me criait à l’oreille et en français, qu’il voulait se lever et que mon coude était dans son ventre ce qui l’empêchait de respirer. Ils ont un grand sens de l’observation les Chinois de Chine.

J’ai à nouveau perdu conscience mais cette fois, un bon 20 ou 25 minutes. À mon réveil, j’étais sur une civière dans une petite pièce beige; Marianne et Amélie étaient à côté de moi. L’endroit m’était bizarrement familier. J’étais à l’infirmerie de la ronde et un jeune infirmier discutait avec Marianne. Semblerait qu’ils avaient conservé un dossier à mon nom pendant tout ce temps. Ils avaient même pour consigne de pas me laisser passer le tourniquet si jamais je me présentais à nouveau.

En tout cas ça prouve que le service de sécurité est pas vraiment efficace à la Ronde. C’est pas pour rien que j’ai passé proche de mourir 3 fois en moins de 45 minutes.

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